Gare du Nord : des vies entre les lignes

Maraude à Paris.

La Gare du Nord à Paris abrite de nombreuses victimes de la grande pauvreté. En mars 2022, Libération publiait un article en huit épisodes faisant le récit de vies brisées et parfois réparées. Cet article est le fruit d’un reportage mené pendant un an auprès de Odile Girardière, référente sociale SNCF, qui effectue des maraudes depuis bientôt cinq ans. Nous vous proposons de retracer les grandes lignes de ce reportage afin de mettre en lumière des parcours de vie variés, qui se croisent au sein d’un territoire complexe, ou intervient également l’association les Captifs via son équipe Maquéro et l’Espace solidarité insertion.

Symbole de la révolution industrielle, la Gare du Nord n’est pas seulement un phénomène architectural où embarquent et débarquent produits et passagers. Espace public et donc ouvert, elle est également un système polymorphe ou s’entremêlent divers espaces d’activités et d’interactions. Elle est la gare la plus fréquentée d’Europe, avec 700 000 voyageurs quotidiens qui s’y croisent et 2000 trains qui s’y arrêtent.
A Paris, la géographie du sans-abrisme ne bouge guère, les SDF se concentrant majoritairement dans les quartiers fréquentés. La dernière enquête de la Nuit de la solidarité à Paris confirme cet effet de concentration autour des gares (Nord, Est, Saint-Lazare et Montparnasse) et grandes stations RER. En effet, les gares sont bien souvent des refuges pour des sans-abris homme, femmes, âgés ou plus jeunes, seuls ou non, qui cumulent des problèmes entremêlés : toxicomanie, addictions, problèmes psy, ruptures familiales etc… De fait, la Gare du Nord est aussi un lieu d’intervention pour quelques associations et travailleurs sociaux et s’insère dans un écosystème plus large au-delà de ses frontières physiques, sur son parvis ou encore sur la dalle chauffante en face du Burger King, lieu de vie bien connu pour certains sans-abris cherchant un peu de chaleur.

Odile Girardière est référente sociale de la Gare du Nord et réalise des maraudes depuis quatre ans et demi aux côtés de Badiaa et Manu, deux policiers en civile. Deux à trois fois par semaine, lorsque la gare est ouverte, entre 5h et 1h du matin, ils arpentent le cœur de la Gare du Nord et prolongent leur parcours vers la gare de l’Est et la Gare Saint Lazare. Le trio est le mousqueton d’un maillage d’associations, soignants, agents de sécurité et institutions. Le regard aiguisé, ils interviennent en amont, pour repérer les personnes en marge, créér du lien et écouter. Jamais loin, leurs acolytes de la sureté ferroviaire, la Suge mais également l’équipe Maquéro rattachée aux Captifs, composée d’un psychologue, d’une infirmière et d’un travailleur social, qui interviennent en maraude et proposent également des accompagnements administratifs, sanitaires ou encore de dynamisation au sein de l’Espace Solidarité et Insertion (ESI) situé à deux pas de la gare. Non loin de là, l’espace Gaia et ses travailleurs sociaux interviennent également en maraude et accueillent, au sein de la première salle parisienne de consommation à moindre risque, une partie des usagers de drogue parmi les plus précaires et marginalisés de Paris.

Avec la crise sanitaire, de nouveaux profils viennent se mêler aux sans-abris de plus longue date, qui vont et viennent, s’y fixent ou non et y meurent parfois. L’espérance de vie des personnes à la rue est de 48 ans et les principales causes de décès sont liées aux maladies ou aux agressions. Parmi les nouveaux profils, les équipes peuvent y croiser des femmes seules (13% des sans-abris à Paris), comme Anita, médecin anglais d’une cinquantaine d’année disparue de la gare du jour au lendemain, mais également des personnes à la rue vieillissantes. Du fait d’un cumul de problèmes, une personne à la rue est considérée comme âgée bien avant l’âge autour duquel une personne peut être considérée comme telle. Odile Girardière évoque le parcours de JP, dit « papi Noël », arrivé autour de la gare vers 20 ans, après avoir quitté Valenciennes suite à un accident qui le plonge dans la précarité. A aujourd’hui 67 ans, JP a quitté la gare depuis peu pour une maison de retraite en Seine-et-Marne. La Gare du Nord, c’est aussi le creuset de personnes souffrant d’addictions (56% des personnes sans-abris à Paris), auxquelles se cumulent bien souvent des problèmes de santé mentale (45% des personnes à Paris). C’est le cas de Hicham, père de famille, qui tombe dans la dépression, l’alcool et la rue après avoir perdu son boulot de professeur et sa femme. De leur côté, le couple formé par Mathieu et Sabrina est originaire de Picardie ou ils cumulent boulots précaires et problèmes de drogues. Arrivés à Paris pour se soigner, ils tombent vite dans le crack et la mendicité. Après avoir frôlé la mort, ils trouvent finalement un logement social dans la Somme et deviennent clean.

Le projet Horizon 2024 a été lancé par la SNCF et la mairie de Paris dans le cadre des Jeux Olympiques qui auront lieu à Paris en 2024. Dans ce cadre et entre autres aménagements destinés à accueillir de nombreux voyageurs, la fameuse dalle chauffante du Burger King sera remplacée par une halle aux vélos. Autant de problématiques de rénovation à considérer à l’aune des personnes évoluant Gare du Nord : ces travaux n’entrainent pas qu’un changement fonctionnel et architectural mais secouent un véritable microcosme social.

Tous les chiffres sont issus de l’enquête de la nuit de la solidarité de 2021 :
Apur, « La nuit de la solidarité : les personnes en situation de rue à Paris la nuit du 25-26 mars 2021, analyse des données issues du décompte de la 4ème édition de la nuit de la solidarité » (2021) : https://cdn.paris.fr/paris/2021/11/08/34e20b746fcf30f56efc07c553fc3b75.pdf