Amy Lovberg a décidé de désigner les Captifs comme bénéficiaire sur son testament. Elle nous explique pourquoi et nous la remercions infiniment pour ce témoignage.
« J’ai eu la chance inouïe de naître dans une famille unie, financièrement confortable ; d’avoir des moyens de poursuivre une éducation qui aboutirait à une profession stable; d’exercer librement ma vocation d’enseignante; d’exprimer et vivre ma foi sans contrainte, et d’être citoyenne d’un pays où, arrivée à la retraite, je pourrais m’asseoir confortablement et manger à ma faim avec un toit au-dessus la tête. Tout cela est arrivé « par chance » et je ne l’ai pas spécialement « mérité ».Monsieur-Madame Invisible-de-la-Rue, celle/celui “dont on détourne la face” si spontanément, qui dérange trop souvent notre confort visuel, olfactif, et auditif, celle-là, celui-là n’a pas eu cette même “chance”.
Tenter d’équilibrer les “chances” est illusoire: un legs ne résout rien des inégalités entre nous. Mais le geste est une main tendue, ouverte, encourageante; un geste d’invitation à des frères et sœurs de la rue ainsi que des frères et sœurs plus fortunées dans la vie de se rencontrer et d’expérimenter le salut : la libération de nos captivités respectives.
Depuis très jeune, sans pouvoir le formuler explicitement, j’ai compris que chaque homme et chaque femme était égal(e) en dignité, en grâce et en potentiel humain. L’homme/la femme de la rue avec les jambes enflées et bandées; le/la titubant(e) qui tend la main pour une pièce; le/la recroquevillé(e) endormant(e); le/la personne “diogène” avec son caddie débordant– bref, tous ces humains invisibles ou marginalisé(e)s dans le paysage de nos chemins quotidiens, ont absolument la même dignité et la même valeur que le Président de la République, le meilleur joueur du foot, ou le Pape.
J’ai fait la découverte aussi, que nous tous, nous avons besoin de libération: Monsieur/Madame Laissé-pour-compte, le Pape, le dernier gagnant aux Oscars et … moi. Cette libération – de la peur, de l’angoisse, de cette menace du non-sens que vit notre monde– sera une libération pour nous tous et chacun(e). Fortuné(e)s et moins. Elle viendra primordialement, si ce n’est pas exclusivement, par une véritable rencontre de personnes qui se savent mutuellement dépendantes l’une de l’autre, mais aussi, mutuellement responsables. Nous, donc, les plus fortuné(e)s dépendent de ces frères et sœurs dans la rue autant qu’ils dépendent de nous pour devenir libres. L’année dernière à ma retraite et en préparant mon testament, j’ai décidé que tous mes avoirs seraient légués à des associations qui vivent la bonne nouvelle de la “libération des enchaîné(e)s” et travaillent à cette fin. Aux captifs, la libération incarne cette œuvre.
Mes avoirs ne peuvent pas me libérer, me sauver dans ce monde. Mais mon lien avec l’autre, aussi démuni qu’il soit matériellement, le peut. Je n’ai pas d’illusion que ces avoirs vont sauver mes frères et sœurs de la rue. Peut-être, pourtant, qu’ils permettront à ces marginalisé(é)s de la vie de connaître par le truchement des “Captifs” leur dignité et leur valeur. Dans un échange d’humanité où l’on s’offre mutuellement ce que nous avons de plus noble, de plus digne, et de plus beau de notre humanité, (le temps, l’amitié, l’attention), là, peut-être, je peux trouver mon salut. Ma libération. »
Amy Lovberg