Aux captifs, la libération, nous accompagnons, entre autres, des personnes en situation de prostitution. Notamment dans l’antenne Saint-Gilles-Saint-Leu (Paris 1e).
Béatrice et Felicity sont deux femmes qui connaissent ou ont connu la prostitution. Dans ce témoignage, elles se confient au sujet de la fraternité auprès de leur travailleuse sociale.
Tous frères et sœurs ? « C’est faux ! » La sentence de Béatrice, que nous rencontrons régulièrement en tournée dans la rue Saint Denis (Paris 1e) est sans appel. « Ici, c’est la faune. », insiste-t-elle, en désignant la rue ou elle attend ses clients. Cheveux châtains encadrant ses yeux noisette, Béatrice, âgée d’une soixantaine d’années nous accueille sous l’embrasure de son immeuble avec un grand sourire relevé par un discret maquillage. « Nous sommes dans une société individualiste et égoïste, déroule-t-elle, volubile, où il n’y a plus ni valeurs morales, ni respect. ». A celle pour qui la rue n’est qu’âpreté, comment parler de fraternité ? A la rue depuis le krach boursier de 2001 dans lequel elle a perdu toutes ses économies elle finit par atterrir dans son studio du centre de Paris où elle est victime à répétition du sabotage des autres filles de la rue. « Tous les gens à qui j’ai fait confiance m’ont escroquée, y compris ma famille. Là où je vis, je suis obligée de me méfier. ». Intuitive, elle perçoit avec finesse ceux qu’elle rencontre et trie selon la bonté qu’elle devine ou non. Nous aussi, nous sommes passés au crible. Serons-nous jugés dignes de confiance ?
Chez les femmes nigérianes, en revanche, la sororité est de mise. « Sister, sister !» les entend-on se héler. La sister, c’est d’abord toute femme nigériane qui parle la même langue, vient du même pays, a le même parcours. Mais c’est aussi tous les autres vivants et nous, les Captifs : « Toi aussi, tu es ma sister. » Nous avons rencontré Felicity en 2015, rue Saint Denis. Mère de deux enfants au pays, elle a été victime d’un réseau de traite des êtres humains. Elle parvient en France et est projetée dans la rue ou elle doit y rembourser une dette. Onze ans après son arrivée en France, Felicity est aujourd’hui en Parcours de Sortie de Prostitution, un parcours de régularisation. « Aux Captifs, c’est ma maison. Aux moments de ma vie ou tout s’effondrait, vous ne m’avez pas abandonnée. Je ne pense que vous puissiez me trahir un jour. ».
Dans la vie de Béatrice aussi, malgré tout, des éclats fugaces de gratuité sont marqués à jamais. Elle évoque, heureuse, sœur Noëlle et sœur Elisabeth, anciennes bénévoles des Captifs et Petites Sœurs de Jésus et se remémore le sourire aux lèvres de leurs visites régulières : « Cela me faisait du bien. Avec elles, je n’avais pas besoin d’armure. » « Et avec nous ? » m’enquis-je, me souvenant de nos longues discussions en tournée-rue « J’étais admirative de votre dévouement. Le temps c’est précieux et vous me le donniez. ». La voix emplie de douceur, elle raconte comment elle se sent sereine lorsque nous la rencontrons : « Il n’y a pas de vice ou d’arrière-pensée. J’aime bien ce contact qui n’a rien à voir avec mon milieu. ». Si Béatrice récuse le terme d’« amitié » pour décrire notre lien, elle s’accorde bien volontiers à parler de fraternité. Oui, c’est bien une fraternité que nous vivons. Au moment de se quitter, tout sourires, nous nous promettons, d’aller rendre visite, ensemble, aux Petites sœurs de Jésus qui lui ont tant fait de bien.
Merci aux partenaires financiers qui soutiennent nos projets autour de l’accompagnement des personnes en prostitution : Bouygues S.A, Fondation Charles Defforey, Fondation Eléos, Fondation Isabelle et Hubert d’Ornano, Fondation Moral d’Acier, Fondation Notre Dame, Fondation Sisley, Le Maillon, le Secours Catholique.