Eclairage sur les enjeux des données dans l’évaluation d’impact social à travers l’interview d’Hélène L’Huillier, économiste-statisticienne de formation, aujourd’hui consultante et chercheuse associée à l’ESSEC, auteure de la Note « La mesure d’impact social, une question de données ».
Pouvez-vous nous décrire une « bonne pratique » des données que vous avez pu observer durant votre parcours ?
Il est tout à fait possible de montrer son impact social sans chiffres. J’ai travaillé pendant 3 ans avec l’association Aux captifs, la libération, qui accompagne des personnes en situation de prostitution et d’extrême précarité. Les dirigeants de l’association ont une approche de la mesure d’impact que je trouve très juste, ils refusent de se mettre la pression en se disant « il nous faut à tout prix du chiffre ». L’accompagnement de l’association est particulièrement complexe à mesurer, il se dessine sur le temps long et est centré sur la création de lien avec des grands exclus.
Face à des demandes de reporting de leur impact avec des formulations du type « combien de personnes avez-vous aidées à sortir de la rue, combien de douches ont été prises, etc. », l’association a longtemps répondu « ce n’est pas le sujet ! » et proposé des récits de vie d’individus accompagnées sur 15, 20 ans, pour illustrer leur impact. Ils ont décidé il y a 4 ans de construire un outil intégré à l’accompagnement, un outil multidimensionnel et qui mesure réellement ce qui compte pour les personnes accompagnées. Nous sommes arrivés à un arbre, L’ACEROLA (Arbre des Capacités Essentielles et Relationnelles Orientant vers la Libération des personnes Accompagnées), où la personne se positionne avec son accompagnateur sur différentes dimensions, sur le même principe que l’Outcomes star par exemple mais avec des branches et des racines qui émanent directement des valeurs de l’association. L’arbre commence à être utilisé, mais pour l’instant principalement en tant qu’outil d’accompagnement. Les données ne sont pas agrégées pour en tirer des éléments sur l’impact. L’outil que l’on a construit le permet, j’espère qu’un jour il aidera à montrer, à partir de données de suivi de plusieurs dizaines de personnes dans le temps, que l’accompagnement a des effets multiples et imbriqués les uns aux autres sur la vie des personnes. Mais aujourd’hui ce n’est pas le sujet, et en attendant d’être assez « mûrs », les Captifs continuent à illustrer leur impact avec des témoignages très puissants.
Si une association n’est pas prête à publier du chiffre, je trouve cela très courageux de choisir de se limiter à du qualitatif, dans le contexte actuel marqué par une pression forte à la quantification. Certaines associations peuvent se sentir contraintes à foncer vers la mesure d’impact chiffrée, mais ce n’est pas la seule méthode qui existe !
Mais au fait comment l’ACEROLA fonctionne exactement ?
L’ACEROLA a été conçu pour nourrir l’accompagnement des personnes rencontrées de façon régulière par l’association et qualifier notre impact social. Il s’agit d’un arbre à remplir avec – et si possible par – la personne accompagnée, en présence d’un accompagnant. L’arbre symbolise les capacités de la personne accompagnée à pouvoir ou non déployer sa vie dans toutes ses dimensions. Il comporte 4 racines (estime de soi, relations aux autres, capacité à faire ses propres choix et vie spirituelle) et 7 branches (attention à sa santé, gestion de ses émotions, prise en main de ses conditions matérielles, participation à la société, accès aux droits, articulation de ses cultures d’origine et d’accueil, et créativité). Une échelle avec plusieurs étapes permet aux personnes de se positionner sur chaque dimension et sert de base pour établir un bilan de leur situation et nourrir un plan d’action. Cet outil a été co-construit avec des personnes accompagnées, des bénévoles et des travailleurs sociaux de l’association, avec l’aide du cabinet KiMSO et d’une équipe de chercheurs en philosophie et éthique sociale dont Hélène L’Huillier.
Cette approche valorise la liberté des personnes à mener une vie et des actions qui aient de la valeur à leurs yeux. Ainsi, l’arbre n’impose pas une « bonne façon » de grandir, mais laisse place à une multitude de possibilités, qui s’appuient sur les libertés d’être et de faire de la personne. Les étapes vers la Libération seront différentes d’une personne à l’autre, ainsi que le temps nécessaire pour observer des changements, et l’ordre dans lequel ceux-ci se produiront.